L’extension de la famille des gentils

L’extension de la famille des gentils, récits d’espoirs et de déboires en autostop, Amélie Charcosset, autoédition, 2015.

De quoi ça parle ?

Un jour, je me suis mise à faire du stop, et comme souvent, je vois les choses en grand, c’était tout de suite pour un trajet Istanbul-Normandie. Après, je n’ai plus vraiment arrêté quand j’ai découvert que le stop collait bien à mon idée de la vie.

Alors, beaucoup de kilomètres plus tard (20 000 ? 30 000 ?), ça fait un certain nombre de véhicules, de gens au volant, d’histoires.

L’extension de la famille des gentils, c’est une compilation de quelques unes d’entre elles, quelques portraits de conducteurs et quelques anecdotes de l’attente, quelques espoirs, quelques déboires.

Un extrait

“Je fais ce voyage pour expérimenter, à une échelle minuscule, les frontières, les barrières, les bordures, les passages, les territoires, les appartenances, et ce que c’est, en soi, un pays. Ce que c’est, en moi, un pays. Les frontières du corps, celles que l’on se met, les limites, la liberté de mouvement et de circulation à l’intérieur de soi-même, dans des recoins jusqu’alors inexplorés : la peur, la fatigue des muscles, les tensions, le découragement, mais aussi la joie, l’émotion devant la bienveillance, la gratitude.

Je fais ce voyage pour la distance, pour sentir les kilomètres, pour me rapprocher, pour avoir une idée physique du monde, pour mettre une réalité sur mes cartes mentales, sur mes représentations à deux balles. Pour connaître. Pour avoir des choses à dire, à raconter, à écrire.

Pour apprendre à me taire.

Je fais ce voyage pour tester l’étanchéité des langues, et espérer qu’elle saute. Je fais ce voyage pour la perméabilité des langages, pour éprouver cet éloignement du russe quand le slovène revient et ce mélange de moi – c’est moi qui parle et je suis si mélangée, entre diverses façons de dire, j’ai appris à dire pluie en bosniaque parce qu’aucune langue que je connais ne suffisait. Je fais ce voyage pour avoir le sentiment de réapprendre à parler, d’ouvrir des mondes au fur et à mesure que je me rapproche parce que ma capacité à décrire ce qui m’entoure se développe, parce que je retrouve des termes que j’avais oubliés.

Je fais ce voyage pour voir des gens et ce qu’ils disent du monde et de la vie, pour écouter les histoires, et la façon dont elles s’ancrent au paysage : les voitures et les camions qui s’arrêtent vont quelque part, pour quelque chose. Les hommes conduisent, travaillent, vivent, sculptent le bois, boivent de la slivivica, aiment, luttent avec la crise, refont leurs pièces d’identité, chantent en serbe, s’ennuient. Les hommes ont voyagé, ils se souviennent et c’est beau. Jardinier en Slovénie, autostoppeur en Irak, et Sarajevo.

Je fais ce voyage pour voir si j’ai bien retenu la leçon du lâcher-prise, le fait de se laisser porter par ce qui se passe, de se jeter sur ce qui dépasse, de renoncer à Sarajevo – Sarajevo sera toujours là, même une quatrième fois.

Je fais ce voyage pour avoir le temps d’apprendre des poèmes, des beaux textes, des alexandrins, de faire rouler les mots dans ma bouche sur le chemin ou dans l’attente : Max Jacob, Racine, Cendrars, Norge. Je fais ce voyage comme on fait corps.

Je fais ce voyage pour je ne sais quoi encore.”

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