Aujourd’hui, on parle valorisation de textes écrits en atelier d’écriture, notamment par la mise en voix. Et on peut même directement aller au cas pratique.
« L’écriture, ça sert à rien. »
Il m’est déjà arrivé de donner des ateliers en collège, où, à la fin de l’heure, quand la cloche sonne, les élèves s’égayent dans les couloirs en donnant de la voix, et restent, tristes sur les tables, quelques feuilles chiffonnées, pleines des mots qu’iels viennent d’écrire mais qu’iels n’ont pas jugé bon d’emporter avec eux. C’est que, vous comprenez, « madame, l’écriture, ça sert à rien. » J’ai, quand ça arrive, un pincement au cœur, le sentiment de ne pas avoir tout à fait réussi à leur montrer à quel point ce qu’iels avaient à dire comptait.
Comment faire, alors, pour qu’iels découvrent concrètement ce que l’écriture permet, ce à quoi elle peut donner naissance, pour qu’iels puissent se rendre compte, a posteriori, de l’importance qu’elle avait, et s’en souvenir pour la prochaine fois ?
Valoriser les textes d’atelier d’écriture
Il y a, après l’écriture, mille choses à inventer. C’est pour ça que j’aime les projets qui prennent plus de temps, qui peuvent s’ancrer dans le quotidien, qui se déploient. Et les projets qui vont au-delà du premier jet. Parce qu’ils aident à donner toute son importance à l’écriture en la faisant passer à une autre étape, en lui proposant une autre forme.
On peut transformer le contenu des ateliers d’écriture en…
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- un livre(t),
- une exposition,
- une création plastique à base des textes qui les rend illisibles, juste pour signifier que l’écriture a eu lieu, comme sur cette photo, faite à l’issue d’un atelier d’écriture avec des femmes en reprise de formation,
- une mise en voix ou un spectacle,
- des illustrations,
- parfois, si on est un peu dingues, en presque tout ça en même temps comme dans le projet Ceci n’est pas un poème II, où nous avions fait écrire de la poésie autour de Magritte à des apprenant.e.s de français…
Tout peut s’imaginer, se concevoir et se fabriquer, en fonction des envies, des intentions, du public (et du budget ;))…
Mais ne croyez pas que ce besoin de valorisation n’existe que pour les enfants, les ados et les gens pas (encore) très à l’aise avec la langue, que nenni ! Tout le monde logé à la même enseigne ! Tout le monde persuadé que son texte ne vaut rien, et que même si valorisation d’une façon ou d’une autre il y a, « on n’est pas obligé de mettre mes mots dedans parce que moi, vraiment, je n’avais pas bien compris la consigne » ! (En vrai, on s’en fiche, en atelier d’écriture, la consigne n’est pas là pour être respectée.)
Les textes d’ateliers d’écriture… sur la bonne voiX !
La mise en voix (ou lecture ou spectacle ou…) est une de mes réalisations préférées.
Si jamais vous vous posiez la question, OUI, lire ses textes en atelier d’écriture est un exercice difficile. On est intimidé.e, on se demande si on a bien fait ce qu’il fallait faire (même si la consigne n’est pas là pour… etc.;)), on peut être tout à coup submergé.e par une émotion qu’on n’avait pas prévue… Parfois, on balbutie un peu, ou on bute sur un mot, on n’arrive pas à se relire. Et pour les plus jeunes qui n’ont pas toujours l’habitude de lire, le résultat peut être monocorde : très concentré.e.s sur leur déchiffrage, iels en oublient le sens.
Si on se lance dans une mise en voix des textes, on travaille sur tout ça, avec des tas d’exercices de respiration, de diction, d’improvisation, de jeu théâtral… pour finir par créer une lecture ou un petit spectacle rythmé(e), qui mettra en valeur et en avant les textes produits. C’est ce qu’on avait fait par exemple pour le projet Acier refroidi, avec d’anciens ouvriers en sidérurgie.
Mais on peut aussi faire le choix de transmettre les textes à des professionnel.le.s qui s’en empareront. Là, les participant.e.s redécouvrent en spectacteur.rice.s des textes qu’iels ont écrits plus tôt. Et c’est un beau cadeau ! Alors oui, ça peut être un cadeau qui bouscule un peu (« mais il dit ça en riant alors que dans ma tête, ce n’était pas drôle du tout ! ») mais qui fait expérimenter aussi ce par quoi chaque personne qui publie (un livre ou autre) passe aussi : le fait de laisser vivre le texte, de voir les lecteur.rice.s s’y plonger et en faire leur propre interprétation.
Cas pratique : Cap ou pas cap ?
Au printemps dernier, ma collègue Laure m’a contactée au sujet de Cap sur l’ouest, la fête du district de l’ouest lausannois, district qui a dix ans cette année. La vidéo ci-dessous résume très bien la chose 🙂
L’idée était de proposer un texte qui serait déclamé par un comédien et qui retracerait un peu la vie du district. On s’est dit que le plus pertinent serait de faire écrire le texte en question par les habitant.e.s elleux-mêmes, vu que c’étaient quand même les premières personnes concernées !
J’ai donc animé, avant l’été, deux ateliers avec des participant.e.s pour les faire écrire sur leur commune, leur territoire, et le fait d’habiter dans la région.
1ère étape : les ateliers d’écriture
Tou.te.s sont arrivé.e.s un peu forcé.e.s (on n’avait pas eu beaucoup de temps pour faire la publicité des ateliers d’écriture), sans trop savoir ce qui les attendait, sans tellement avoir envie d’être avec moi à ce moment-là. Vous vous souvenez d’ailleurs peut-être d’Yvette, qui avait annoncé tout de go qu’elle aurait préféré être en train de vendre des légumes sur le marché et qu’elle avait rêvé (ou cauchemardé, plutôt) de l’atelier toute la nuit. Finalement, les ateliers se sont (très) bien passés, même si j’ai bien entendu une ou deux fois : « ah ben je ne sais pas ce que vous allez bien pouvoir en faire, de tout ça ! »… À ce moment-là, à vrai dire, avec notre pile de feuilles de toutes les tailles, on ne savait pas non plus !
2ème étape : la compilation des textes
Et puis on tape les textes, on les relit avec Laure, on les relit encore pour voir ce qui les lie, justement. On trouve une accroche, on tire sur un fil, on déroule et on voit où ça nous embarque : cap ou pas cap ? On découpe, on fait des flèches et des rajouts. On ne dénature pas les textes, surtout pas. Simplement, on les assemble. Je m’essaie à une intro, je galère, et finalement, je trouve quelque chose qui pourrait fonctionner. Quelques transitions au milieu, quelques indications scéniques sur ce qu’on imagine. Quelques allers-retours, et finalement, voilà, quelque chose qui nous plaît.
3ème étape : la mise en voix
Ciao ciao petit texte, bon vent à toi, on t’envoie aux comédiens – eh oui, car ils sont même deux, c’est-à-dire deux fois plus que ce qui était prévu au départ : chouette ! C’est à leur tour de s’approprier notre proposition. Du monologue qu’on avait imaginé, ils font un dialogue, et un mercredi après-midi, à la préfecture, une petite démonstration du travail en cours.
C’est émouvant, de voir le résultat. Dans quelques semaines, ils joueront Dom Juan de Molière, mais là, pour l’instant, ils jouent « les habitant.e.s du district qui ne savaient pas quoi écrire », sauf que ça ne ressemble pas du tout (du tout) à ça. Dans leurs mots, j’entends le garçon qui raconte le virage de l’église difficile à prendre en luge, j’entends les souvenirs des fêtes où il fallait attendre une heure à la buvette, j’entends les regrets à cause de la ville qui grignote le vert si vite, j’entends les envies pour l’avenir.
J’entends aussi leur grain de sel à eux, ce qu’ils ont rajouté – et c’était bien le but. Leurs indications scéniques décuplées (chacun son boulot !!). Leurs changements de voix, leurs clins d’œil, leurs déplacements… Ce qui fait de tous ces textes écrits individuellement une œuvre collective.
4ème étape : le spectacle
Pour qu’il n’y ait pas de jaloux.ses, les comédiens se déplaceront (en vélo cargo électrique !) dans les huit communes du district pour huit représentations. Ils donneront à voir et à entendre cette mise en voix d’ateliers, et comment les mots s’y sont mêlés.
Je mets ma main à couper (mais la droite, pour pouvoir continuer à écrire, au cas où) qu’on entendra, ici et là, dans le public, des « ah ben moi, j’aurais pas pu faire ça ». J’espère bien qu’il y aura alors un.e participant.e pour les détromper.
Ah, ça, le jour de la fête, j’espère vraiment qu’elle sera là, Yvette.
Et vous aussi ? C’est le 23 septembre prochain, c’est gratuit, et vous trouverez tout le programme ici.
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