L’été de mes 15 ans, je suis revenue habiter à Lyon après quelques années à la campagne, et une des premières choses qu’on a faites, mes sœurs et moi, c’était de s’inscrire à la bibliothèque. À l’accueil, l’homme qui avait fait nos cartes nous avait dit, en nous les tendant, “par contre, vous ne pourrez emprunter des livres qu’à la rentrée.” On était en plein mois de juillet. Effondrement total et incompréhension. En fait, c’était une blague, et on pouvait déjà se ruer sur les rayons. Ouf… Dans tous les endroits où j’ai habité, vérifier les horaires de la bibliothèque et y prendre un abonnement ont été des actions allant de soi et me permettant de me sentir chez moi. (Oui, même au Kirghizstan dans le placard qui servait de bibliothèque et dont j’avais la charge.)
Lire dans les parcs pour faire connaître les bibliothèques
Alors quand chaque été depuis que je vis à Bruxelles, j’ai l’occasion de participer au festival Lire dans les parcs, qui a pour objectif de faire connaître les bibliothèques, en faisant prendre l’air aux livres et en proposant des lectures gratuites aux enfants dans les plaines de jeux, je suis évidemment la plus heureuse.
En plus, j’adore — J’ADORE — lire des livres pour enfants. Et des livres aux enfants. D’ailleurs, j’ai retrouvé récemment cette lettre que mes sœurs avaient dictée à mes parents et m’avaient envoyée alors que j’avais six ans (awww).
En gros : ce n’est pas nouveau.
Ce que j’aime particulièrement dans ces animations f‑estivales, c’est qu’elles me font rencontrer/retrouver plein de gens — des enfants, bien sûr, mais des adultes aussi : d’autres lecteur.rice.s, bibliothécaires, parents, enseignant.e.s, conteur.euse.s…
Il y a le gamin qui dit, après être resté deux heures scotché là, “wahou c’était trop cool” ;
la petite qui se réjouit SI FORT d’Aboie, Georges, qu’elle se roule par terre, de rire ;
l’enfant qui dit, “ponimayouuuu” à sa grand-mère qui veut tout lui traduire en français” — “mais je compreeeends !!” ;
la maman qui nous apporte des biscuits marocains à la fin de la lecture pour nous remercier d’être là ;
les enfants qui réclament des histoires qui font toujours plus peur et qui finissent par hurler quand on lit Ouste, attention aux ours ;
les parents qui rient plus fort que leurs enfants ;
les enfants qui négocient avec leurs parents pour toujours une histoire de plus ;
l’ado qui se met un peu à l’écart et que je vois plongée dans Couleurs et qui frotte, à l’abri du monde, le rouge pour le mettre sur le jaune…
Bref, toutes ces petites magies-là.
Et puis ce que j’aime aussi, évidemment, c’est choisir les livres qui rempliront mes sacoches pour toutes ces lectures. Quelles merveilles à dénicher, quels messages à avoir envie de faire passer, quels mots à partager ?
Alors avant d’aller rendre toutes mes trouvailles à la bibliothèque, j’ai eu envie de vous partager mes coups de cœur de la saison — pas forcément récents ni révolutionnaires, mais ceux que j’ai tellement aimé lire cet été.
Les albums drôles
Émile est invisible, Vincent Cuvellier & Ronan Badel
Aaah, Émile ! Sacré petit bonhomme qui n’en fait qu’à sa tête. Dans cet épisode-ci, il a décidé qu’il allait devenir invisible, pour échapper au gratin d’endives que maman a préparé…
Quand soudain il se passa quelque chose de plus terrible encore !, Bertrand Santini
Un petit lapin était tranquillement en train de brouter des trèfles à quatre feuilles, quand soudain… catastrophe après catastrophe, des choses toujours plus terribles lui arrivent. La fin est savoureuse, une belle illustration du verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide — c’est peut-être pour ça que je l’aime tout particulièrement.
Anton et les rabat-joie, Ole Könnecke
Quand on n’arrive pas à se décider à comment jouer ensemble, il ne reste plus qu’à bouder. Ou mieux, à faire le mort. Mais si tout le monde se met à faire le mort, qu’est-ce qu’il se passe ?
Le pigeon trouve un hot-dog, Mo Willems
Le pigeon trouve un hot-dog et s’apprête à l’engloutir, mais un petit canard qui passe par là a d’abord son mot à dire… Un livre que les enfants demandent à relire encore, et encore, et encore.
Le livre des peut-être, Ghislaine Roman & Tom Schamp
À mi-chemin entre cette catégorie-là et la suivante, un livre pour imaginer des explications à tout ce qui est : “Peut-être que les moutons portent de la laine parce qu’ils sont allergiques au coton ? Peut-être que les dinosaures n’ont pas disparu mais qu’ils sont les meilleurs à cache-cache ?” Une double-page par idée, et le regard délicieusement dubitatif de ceux qui écoutent, à chaque fois.
Les albums poétiques
L’étrange projet de monsieur G., Gustavo Roldan
Monsieur G. habite dans un village au milieu d’un désert tout sec, mais un jour, il décide d’y planter une graine… Un tout petit livre aux grands effets.
C’est autant d’amour que je t’envoie, Coline Irwin
Il s’agissait un peu d’un défi pour moi, car c’est un petit livre carré, illustré avec des photos, et pas forcément évident à proposer, avec une structure répétitive. Mais ça marche aussi et c’est doux.
Tu te souviens des livres qu’on lisait ensemble ?
Le bruit des pages quand on les tourne
Et les phrases dans ces pages
Imagine toutes les lettres de tous les mots des livres qu’on lisait ensemble…
C’est autant d’amour que je t’envoie
Mercredi, Anne Bertier
J’en avais déjà parlé quand je vous avais raconté les ateliers d’écriture en maternelle mais je le remets ici, car j’ai pris énormément de plaisir à le relire cet été, et à voir les enfants toujours émerveillés par tout ce qu’on peut faire avec un grand carré et un petit rond. Un livre qui fait du bien à l’imagination.
Je voulais une tortue, Beatrice Alemagna & Cristiano Mangiono
Les parents ne veulent pas de tortue à la maison, parce qu’une tortue, ça peut grandir beaucoup… Jusqu’à prendre toute la place dans le lit / la chambre / la maison et jusqu’à avoir la tête qui passe à travers le toit… Comment est-ce qu’on fait pour réparer ça ? Des illustrations en noir et blanc, et une tortue qui donnerait envie à n’importe qui de l’adopter.
Le champ d’amour d’Anton, Corinne Lovera Vitalli & Marion Duval
C’est mon plus grand coup de cœur des derniers mois, mais Lire dans les parcs n’est peut-être pas le cadre le plus approprié pour sa lecture. J’imagine des enfants un peu plus grands, un cadre un peu plus intime, qui permette de s’accrocher à la poésie du texte, qui me bouleverse. Les illustrations sont elles aussi magnifiques. Anton a un immense champ de pastèques ; mais on lui a volé l’une d’entre elles… Comment gère-t-on la perte, la colère, le regret ? Qu’est-ce qu’on en fait ?
le champ de pastèques d’Anton est presque un champ parfait
sauf qu’il y manque cruellement la pastèque qu’on lui a volée
ça en fait un champ borgne un champ amputé
les autres pastèque les bien alignées
continuent de grossir et de briller
mais ce qu’Anton voit le plus c’est la pastèque volée
qui lui manque cruellement on le sait
Les albums à messages
Le crocodile qui avait peur de l’eau, Gemma Merino
Que faire quand on est un crocodile et qu’on a peur de l’eau ? Affronter sa peur, mais comment ? Et peut-être un jour, comprendre d’où elle vient…
Nasreddine & son âne, Odile Weulersse, Rébecca Dautremer
C’est le genre de livres qu’on ne sort pas dans tous les parcs : l’histoire est longue, peut-être pour des enfants un peu plus âgé.e.s que la moyenne du festival. Mais quand on a l’occasion de le lire, quel régal ! Nasreddine est parti au marché vendre des victuailles, comme sa mère le lui a demandé… Mais il se fait voler son âne. Voici donc l’histoire rocambolesque de comment il parvint à ne pas rentrer chez lui bredouille. Et à nouveau, une chute qu’on n’avait pas vu venir !
L’important, c’est de participer, Victoria Pérez Escriva & Claudia Ranucci
Un éléphant veut faire du saut en hauteur, mais il est trop lourd pour sauter, ses pattes sont trop grosses pour décoller, ses oreilles lui cachent les yeux quand il se met à courir… Tristesse absolue… jusqu’à ce qu’il se souvienne de ressources insoupçonnées. Un livre qui parle en finesse d’accepter qui l’on est.
Les albums spécial tout-petits
Parfois, quand je vois les enfants s’installer sur la couverture, j’ai un instant de panique : “ohlala, iels sont vraiment tout petits aujourd’hui” ; ou bien “ohlala, c’est le grand écart entre les âges” et “ohlala, est-ce que je vais avoir assez de livres pour elleux ?” Du coup, voici ma sélection des albums qui marchent pour les grands mais aussi pour les petits vraiment petits 🙂
Un livre, Hervé Tullet
On ne présente plus Un livre, mais il a quand même le mérite de marcher à chaque fois. Un livre à toucher, frotter, secouer, incliner, et une mention spéciale pour des garçons de 10–11 ans qui faisaient un dab à chaque fois qu’ils avaient “réussi” 🙂
Coucou, c’est moi !, Nadine Brun-Cosme & Maud Legrand
Léo est amoureux de Marie et prend son courage à deux mains pour l’inviter… Mais zut, elle n’est jamais là où il appelle. Jusqu’à ce qu’on frappe à la porte !
Drôle d’œuf, Emily Gravett
Tout le monde couve un œuf sauf Canard… Mais ouf, Canard a trouvé un œuf… Il ne reste plus qu’à découvrir ce qui va en sortir !
La toute petite dame, Byron Barton
La toute petite dame n’a que de toutes petites choses, une toute petite maison, un tout petit tabouret, un tout petit chat. Un livre à lire à toute petite voix, avec de tout petits bruitages pour un tout grand moment de plaisir.
Un peu perdu, Chris Haughton
Bébé chouette est tombé du nid et cherche sa maman… J’adore cet album tout doux pour démarrer les lectures avec les petits, histoire de capter leurs regards interloqués à chaque page : “Elle est là, ta maman !!”. Spoiler : non.
À toute cette sélection, il faudrait bien sûr rajouter les pépites découvertes dans les malles aux trésors de mes binômes… Mais je n’ai pas le temps, j’ai des livres à aller lire 😉
Et vous, quels sont vos albums préférés de tous les temps (ou juste des derniers mois) ?