En mai, c’était un peu la course, les bouchées doubles pour les fins de projets chouettes (demain !), le rythme de l’écriture à essayer de garder. C’était aussi les bouts de soirées qu’on imagine passer à bouquiner sur la terrasse clandestine et qui se transforment en bouts soirées à regarder la ville, les toits et les couchers de soleil depuis la terrasse clandestine, ce qui n’est pas mal non plus, mais qui fait moins vite descendre la PÀL.
En résumé donc, j’ai trouvé peu de temps et de disponibilité pour de la fiction, toute prise que j’étais par la vie (et par un essai passionnant et bouleversant qui prend beaucoup de place mais dont je ne parlerai pas encore parce que je suis toujours en plein dedans (remarquez le subtil teasing)). Ceci dit, j’ai lu quand même deux BEAUX textes, et ce, grâce à des amies chères : j’en profite pour dire ici que je suis ravie de savoir que ces petites chroniques de lecture éveillent des envies chez certain.e.s d’entre vous, et que l’idée que vous vous retrouviez avec ces bouquins aimés/émus entre les mains parfois même à des milliers de kilomètres de là (coucou Audrey) me met en joie !
De A à X, John Berger
traduit de l’anglais par Katya Berger Andreadakis, éd. de l’Olivier.
C’est mon amie Ce. qui m’a prêté ce livre il y a environ, ouch, je n’ose même pas le dire… deux ans ? Oui, avec moi, il ne faut pas être pressé.e… Il était là, tranquillement sur mon étagère rebord de fenêtre qui accueille les bouquins prêtés, et je n’y avais (justement) jamais prêté plus d’attention que ça… Et puis un jour, dans l’essai dont je parle au début en disant que je n’en parlerai pas, je tombe sur une phrase de John Berger tellement juste que j’ai mis un grand point d’exclamation au crayon dans la marge. Plus tard, je passe devant la fenêtre en question, et mon regard se pose sur le bouquin de Ce., de John Berger, exactement. Voilà, c’était le petit signe qu’il me fallait pour me lancer dans la lecture de ce roman.
C’est un peu fou de me dire que j’ai eu ce texte magnifique chez moi pendant tout ce temps et que je ne le découvre que maintenant. Combien d’autres trésors cachés dans cet appartement ? Bref, De A à X est un recueil de lettres de Aïda à Xavier, son amoureux qui est en prison. De lui, on aura des notes sur le monde, accrochées au réel, gribouillées au dos des missives d’Aïda. La langue est d i n g u e, l’amour qui tient la distance et tout ce qui est insufflé de liberté rien que dans les mots. Je crois que c’est une des plus belles choses sur l’amour et la résistance qui m’ait été donné de lire, ouioui, au moins ça. Résumé là.
Mi Golondrino,
[…] Je te parle si souvent dans ma tête que je ne me rappelle plus toujours exactement ce que je mets ou pas par écrit. Dans une ville sans prison – y en a‑t-il jamais eu ? –, qui pourrait se douter qu’on soit capable de mettre tant de choses dans des lettres ?
Je relis souvent les tiennes. Mais pas la nuit. Relire tes lettres peut s’avérer dangereux pour la nuit. Je les lis le matin, après le café, et avant le travail. Je sors pour voir le ciel et l’horizon. Certaines fois, je monte sur le toit. D’autres fois, je vais dehors, je traverse la rue et m’assieds sur le tronc d’arbre mort, là où il y a les fourmis. Oui, elles y sont toujours. Je sors ta lettre de son enveloppe salie et je lis. Et tandis que je lis, les jours entre se heurtent et s’entrechoquent comme les wagons d’un train de marchandises ! Ce que je veux dire par « les jours entre » ? Je veux dire les jours entre cette fois et la dernière fois que j’ai lu la même lettre. Et les jours entre celui où tu l’as écrite et celui où ils t’ont pris. Et entre le jour où l’un des gardiens l’a postée et le jour où je m’assieds sur le toit pour la lire. Et entre aujourd’hui, où il faut se souvenir de tout, et le jour où nous pourrons nous permettre d’oublier, car nous aurons tout. Voilà ce que sont les jours entre, mon amour, et le chemin de fer le plus proche se trouve à deux cents kilomètres.
[…] Je t’écris tout ça tard dans la nuit. Je pense à tes lettres que je relis tôt le matin, quand les jours entre se heurtent et s’entrechoquent comme des wagons de marchandises, et je pense à mes lettres que tu lis dans ta cellule, et je souris en pensant à leur immense secret, qui est le nôtre, à toi et moi.
Jason Albert Guillaume, éd. Trames.
Cette fois, c’est un livre offert par mon amie Delphine pour mon anniversaire il y a… à nouveau deux ans. (En fait, tout ça peut constituer un excellent moyen de voyager dans le temps : lisez les livres que les gens vous ont conseillés/offerts il y a plusieurs années, (comment) avez-vous changé ?!).
La forme est tout à fait originale. Le livre tient presque dans ma main, il n’y a pas de titre sur la couverture, mais un portrait, et c’est bien de ça dont il s’agit. En furetant sur le site de la maison d’éditions, Trames, je lis : « Au départ du projet Trames, la conviction que chacun vit des aventures. Des terres inconnues, des reliefs intérieurs, ou même ce qu’on appelle le quotidien. Des événements en apparence banals, pourtant chargés de sens et d’émotion. » Toute personne me connaissant un peu saura que ça me parle complètement (mon amie Delphine me connaît donc, chouette !)
L’objet-livre est beau : des photographies, des citations mises en exergue, des fac similé (et j’ADORE les fac similés), une mise en pages soignée, un index génial à la fin, bref, j’aime tout ! Et cette personne, Jason Albert Guillaume, quel personnage ! L’écriture est fragmentaire, laissant de la place pour l’interprétation ; la langue est très orale, ce qui rend Jason Albert Guillaume attachant au possible. Ça parle du Rwanda, mais pas que (mais c’est bien de croiser les regards, après Petit Pays de Gaël Faye). Ça parle aussi de Dubaï, des États-Unis, de Bruxelles, des signes de la vie, du destin, de si on y croit ou pas, des amours perdues et retrouvées… C’est beau et ça me donne sacrément envie d’aller fouiller dans les autres ouvrages de la même maison.
Franco était mince, grand, et il rigolait tout le temps. Blond… « Être avec toi c’est tellement bien, c’est comme si j’étais tout seul. » Cette phrase c’est Jean Yanne qui l’a dite, c’est pas moi. Tu vois, quand tu es avec quelqu’un avec qui t’as pas de pression ? T’as l’impression que le temps s’est arrêté.
Franco il pouvait pas vivre longtemps, c’est pas possible. T’as déjà rencontré des gens, c’est tellement bon que c’est pas possible ? T’as l’impression que c’est pas possible que ça dure ?
*
Quand j’ai des projets, je n’aime pas en parler, j’ai l’impression que ça ne se réalisera pas. Aujourd’hui j’ai changé, je n’ai plus rien à perdre. Je me dis « Si ça se passe pas et alors ? Je l’ai rêvé quand même. » Alors voilà, j’aimerais aller vivre à Zanzibar.
Une pépite bonus
Et comme ce n’est pas beaucoup, une petite pépite en bonus. J’ai regardé avec tout grand plaisir un petit matin sans sommeil cette conférence de Laurent Gaudé (dont j’adore l’écriture, bon ok, et la voix) dans laquelle il répond à la question : « Pourquoi écrire ? ». C’est inspirant et bienveillant, c’est pile ce dont j’ai besoin qu’on me répète, régulièrement :
Et vous, quelles ont été vos inspirations du mois de mai ?