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entre les pages : T. Greenwood, Lola Lafon et Laurent Mauvignier

Sep 12, 2016 | Lectures | 2 commentaires

Mes lectures du moment pourraient constituer un poème de titres à elles toutes seules…

Mémoire d’elles
De ça je me console
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… ce qui est en soi une bonne raison pour que je vous parle de ces trois livres ensemble :

Mémoire d'elles

On me l’a mis dans les mains et j’ai donc lu Mémoire d’elles, de T. Greenwood : un long roman sur une histoire d’amour entre deux femmes coincées dans leurs couples respectifs entre maris alcooliques et enfants, dans les années 60 aux Etats-Unis, à une époque où il était difficile d’assumer des amours plurielles et homosexuelles (loin de moi l’idée de dire que c’est facile maintenant, mais ça l’est sans doute plus, disons). Intéressant pour le contexte, mais j’ai trouvé que c’était long (570 pages, quand même), que les personnages n’étaient pas assez différents les uns des autres, et que l’écriture frôlait un peu trop le cliché parfois.

J’ai appris ceci : la mémoire est comme l’eau. Elle s’infiltre et inonde. Elle apaise, étanche la soif. Elle peut vous faire flotter ou vous aspirer dans ses tréfonds, vous rendre léger comme une plume ou vous noyer. Elle est tangible, mais fuyante. Ainsi sont mes souvenirs d’Eva : rêves liquides d’un passé aussi insaisissable qu’un morceau d’océan. Certains jours, ils me maintiennent à flot. A d’autres moments, leur courant redoutable menace de m’emporter. La mémoire. L’eau. Nos corps en sont faits ; elles nous fondent. Dorénavant, je ne suis plus dissociable de mes souvenirs. Dans mes meilleurs jours, dans mes pires jours, j’ai l’impression de m’être dissoute en eux.

Mémoire d’elles, T. Greenwood

De ça je me console

Un coup de coeur par contre pour De ça je me console de Lola Lafon, attrapé pendant ma vadrouille d’été chez Mam (décidément !). Je m’absorbe dans sa langue, dans les phrases à la syntaxe qui bascule un peu, dans ses images. Aussi une histoire de deux filles, dont l’une disparaît de la circulation du jour au lendemain. L’autre la cherche, écrit dans des carnets, et essaie de comprendre le monde dans lequel elle vit, avec les Presque Morts qui vivent aussi mais pas tout à fait.

Voilà.
A l’automne qui a suivi ton départ, je n’ai plus pu me convaincre. C’est comme si d’un coup, j’avais été fatiguée de me mentir et aussi de me croire par moments. Croire que tu allais réapparaître, croire qu’il fallait attendre pour comprendre. Croire que le temps contenait des ingrédients mystérieux qui entoureraient les douleurs d’un édredon.
Croire qu’il y avait une fin, comme un cercle avec explications comprises à l’intérieur. Croire que je me faufilerais à travers les Presque Morts.
Je continuais à lire, je lisais pour vivre et je notais, comme quand on était toutes les deux à Paris, les phrases de ceux et celles qui formalisaient ce que je ressentais.

De ça je me console, Lola Lafon

Continuer

Et puis j’ai dévoré le dernier Mauvignier, un de mes auteurs préférés. Et quand j’ai découvert que son roman, Continuer, se passait au Kirghizstan, je n’ai pas hésité une seconde et je suis passée à la librairie (où la libraire a sorti ma carte de fidélité sans me demander mon nom, ce qui m’a rendue bêtement très fière ;)). On quitte les relations amoureuses pour une relation filiale : difficile lien entre une mère et son fils adolescent, et elle qui décide de partir avec lui plusieurs semaines à cheval en Asie centrale pour retrouver le fil.
J’ai cherché et attendu que l’écriture de Mauvignier vienne me prendre aux tripes “comme avant” et ce n’est venu qu’à de rares moments… Et une façon naïve et qui m’a fait l’effet d’un cheveu sur la soupe de traiter des thématiques sociales.
Malgré tout, je l’ai lu vite, il m’a touchée à plein d’endroits, et j’ai eu mille bouffées de nostalgie de ma vie d’antan au Kirghizstan.

Elle avait hoché la tête, avait plongé les yeux dans sa tasse. Elle avait voulu présenter ses excuses, les mots lui avaient brûlé la bouche, mais aucun n’avait franchi ses lèvres. Elle avait imaginé qu’elle pourrait demander qu’il patiente, qu’il lui laisse une chance, et puis au fond d’elle quelque chose ne s’excusait pas, au contraire, quelque chose pensait qu’elle n’avait pas à s’excuser. Oui, c’est vrai, elle avait été imprudente, elle aurait pu causer la disparition des chevaux, de leurs affaires, peut-être même la mort de l’un d’eux. Et même si elle se sentait fautive parce qu’elle les avait emmenés sur une mauvaise route, elle se disait aussi que lui non plus n’avait rien fait pour l’en empêcher, qu’il pourrait aussi se décider à prendre les choses en main s’il estimait qu’elle en était incapable ; il pouvait arrêter de geindre et se mettre à agir, c’est tout ce qu’elle voulait, tout ce qu’elle attendait de lui, tout ce qui avait motivé ce voyage, qu’il réagisse, qu’il reprenne contact avec la vie. Alors, il en avait l’occasion, il lui suffisait de prendre la carte, de tracer un chemin à travers le pays, de proposer des routes, de choisir des itinéraires, et c’est pourquoi elle pensait qu’elle n’avait pas à s’excuser, pourquoi elle voulait qu’il comprenne ce qui venait de se passer, si elle en était en partie responsable, il ne l’était pas moins, lui, à cause de sa passivité, et qu’on est aussi responsable de se laisser entraîner dans une impasse que de s’y embarquer soi-même.

Continuer, Laurent Mauvignier