Une amie prof, après avoir écumé ces précieuses ressources sur la liberté d’expression, m’a demandé si j’avais des idées d’ateliers pour faire écrire ses élèves sur le sujet, pour amorcer la discussion, ou pour la poursuivre. Voici donc quelques idées simples à mettre en place pour des élèves de collège ou lycée. (Envie d’en savoir plus sur ma philosophie des ateliers d’écriture ?)
Proposition d’écriture 1 : Listes de choses
Sei Shonagon est une autrice japonaise du Xe siècle. Déjà, dire ça, en général, ça pose l’ambiance. J’aime que ça vienne de si loin géographiquement et temporellement parlant, et que pourtant, ça parle de nous si fort. Dame de la cour, elle écrit ses Notes de chevet, elle y consigne des anecdotes de ce qui se passe à la cour, des gens, des attitudes… Elle y tient aussi, et c’est ce qui la rend célèbre, des listes de choses, aux titres tous aussi attirants les uns que les autres : Choses dont on néglige souvent la fin, Choses rares, Choses qui font naître un doux souvenir du passé, Choses qui font honte, Choses qui font battre le cœur.
En voici un extrait :
Choses que l’on entend parfois avec plus d’émotion qu’à l’ordinaire.
Le bruit des voitures, au matin, le premier jour de l’an. Le chant des oiseaux. À l’aurore, le bruit d’une toux, et, il va sans dire, le son des instruments.
Notes de chevet, Sei Shonagon
Atelier d’écriture
Demandez aux élèves d’imaginer individuellement un titre de liste, commençant par “Choses”, en lien avec ce que leur évoque le fait de s’exprimer/la liberté d’expression :
- Choses + adjectif (choses avouées)
- Choses qui… (choses qui nous lient)
- Choses que… (choses que l’on refuse)
- Choses dont… (choses dont on devrait parler)
Après l’avoir écrit en haut de leur feuille, ils/elles écrivent un premier élément de cette liste, ça peut tenir en un mot ou deux, ou une phrase. Une fois que c’est fait, ils/elles font passer la feuille à leur voisin·e. On rajoute un élément par liste. Quand la liste qu’on a démarrée nous revient, on vérifie qu’on arrive à tout lire et on rajoute un dernier élément pour la “clôturer”.
Pourquoi j’aime cette proposition d’écriture : on ne doit pas trouver mille idées pour un même titre, mais seulement une par titre (c’est plus facile) ; on se retrouve *ou pas* dans ce que les autres ont écrit, et c’est de la matière à discussion ; le texte écrit est collectif et ça dédramatise la lecture qui n’est pas toujours un exercice facile.
Proposition d’écriture 2 : “Je travaille pas”
Pierre Soletti est un poète contemporain qui a notamment écrit une série de poèmes intitulée “Je travaille pas”. Chaque poème, qui tient en quelques vers libres, commence par le verbe “Travailler”. En voici trois que j’adore utiliser en atelier.
Travailler
C’est trop dangereux
On peut se casser un rêve au travail
Se fouler une envie d’autre chose
S’arrêter de grandir aussi si on travaille tropTravailler
Je travaille pas, Pierre Soletti
Ça se faufile dans les horloges
Pour faire tourner les aiguilles
En dépit du bon sens parfois
Travailler
Ça oblige à mettre ses phares le matin
Quand on préfèrerait éclairer son lit
Avec une lampe de poche pour lire
Ou juste faire une tente secrète avec les draps
Pour y loger ses mystères
Atelier d’écriture
Demandez aux élèves (avant lecture des poèmes) de prendre une ou deux minutes pour noter tous les verbes auxquels ils/elles pensent en lien avec le fait de s’exprimer/la liberté d’expression : parler, crier, débattre, discuter, etc. Vous pouvez aussi faire cet exercice en grand groupe, en notant toutes les idées au tableau. Lisez ensuite les trois poèmes de Pierre Soletti, et prenez un petit temps pour souligner et discuter des images qu’on y trouve (faire une tente secrète avec les draps : <3). Proposez-leur de choisir ensuite un de leurs verbes, et d’écrire trois courts poèmes (en vers libres : pas de rimes obligatoires ni de nombre de syllabes à respecter) commençant par :
- le verbe à l’infinitif (trois fois le même)
- les mêmes mots de 2e vers que Pierre Soletti : “C’est trop…” (1er poème), “Ça se…” (2e poème), “Ça oblige à…” (3e poème).
Pour la lecture, vous pouvez faire lire un seul des trois poèmes, ou bien les 3 en 3 tours de lecture (tout le monde lit son premier, puis son deuxième…), ou les 3 d’un coup et en discuter ensuite.
Pourquoi j’aime cette proposition d’écriture : Il y a un petit côté subversif du texte (“je travaille pas”), qui colle bien à la thématique ; c’est une belle occasion de montrer que la poésie n’a pas besoin de mots compliqués ; les démarreurs du deuxième vers emmènent les écrivant·e·s sur d’autres pistes que ce qu’ils/elles écriraient naturellement ; si on bloque sur un démarreur, on peut jouer avec les deux autres.
Proposition d’écriture 3 : Mon précieux
Le texte que j’aime bien lire (mais ce n’est pas obligatoire) pour cette proposition est un extrait du superbe roman Le cœur cousu, de Carole Martinez. La narratrice y parle de sa mère, qui reçoit, un jour, de manière assez improbable, une petite boîte de couture qui va transformer sa vie.
Commença alors pour ma mère la période des fils de couleurs.
Ils avaient fait irruption dans sa vie, modifiant le regard qu’elle portait sur le monde.
Elle fit le compte : le laurier-rose, la fleur de la passion, la chair des figues, les oranges, les citrons, la terre ocre de l’oliveraie, le bleu du ciel, les crépuscules, l’étole du curé, la robe de la Madone, les images pieuses, les verts poussiéreux des arbres du pays et quelques insaisissables papillons avaient été jusque-là les seuls ingrédients colorés de son quotidien. Il y avait tant de petites bobines, tant de couleurs dans cette boîte qu’il lui semblait impossible qu’il existât assez de mots pour les qualifier. De nombreuses teintes lui étaient totalement inconnues comme ce fil si brillant qu’il lui paraissait fait de lumière. Elle s’étonnait de voir le bleu devenir vert sans qu’elle y prît garde, l’orange tourner au rouge, le rose au violet.
Bleu, certes, mais quel bleu ? Le bleu d’un ciel d’été à midi, le bleu sourd de ce même ciel quelques heures plus tard, le bleu sombre de la nuit avant qu’elle ne soit noire, le bleu passé, si doux, de la robe de la Madone, et tous ces bleus inconnus, étrangers au monde, métissés, plus ou moins mêlés de vert ou de rouge.
Qu’attendait-on d’elle ? Que devait-elle faire de cette nouvelle palette qu’une voix mystérieuse lui avait offerte dans la nuit ?
Bombarder de couleurs le village étouffé par l’hiver. Broder à même la terre gelée des fleurs multicolores. Inonder le ciel vide d’oiseaux bigarrés. Barioler les maisons, rosir les joues olivâtres de la mère et ses lèvres tannées. Elle n’aurait jamais assez de fil, assez de vie, pour mener à bien un tel projet.
Atelier d’écriture
Demandez aux élèves, après la lecture de l’extrait, de réfléchir à un objet auquel ils/elles tiennent particulièrement. Ce n’est pas forcément un objet avec une grande valeur monétaire, mais plus quelque chose au niveau sentimental. Grand oui aux coquillages et autres bracelets brésiliens ! Bon, une Nitendo Switche, ça peut aussi marcher. Proposez-leur ensuite d’écrire un texte qui raconte leur rapport à cet objet-là. Seule contrainte : répéter plusieurs fois le nom de l’objet (“la bague de ma mère”, “ma PS4”…). Si vos élèves ont besoin d’être plus guidé·e·s, voici des phrases à compléter, de manière libre (il s’agit bien du même objet à chaque ligne) :
- [Mon objet] est… (description : matière ? forme ? taille ? époque ? d’où vient-il ?)
- Quand je pense à [mon objet], …
- Quand je m’approche de [cet objet], …
- [Mon objet] me rend… OU [Mon objet] me donne…
- Si on me prend [cet objet], …
- [Cet objet] est important parce que…
Une fois que c’est fait, demandez aux élèves de BARRER tous les endroits où ils/elles ont écrit le nom de leur objet et faites-leur écrire à la place “La liberté d’expression”. Faites-les relire le nouveau texte en procédant aux ajustements nécessaires (changements du masculin au féminin si besoin, par exemple). À la lecture des textes, on pourra se demander : dans quelle mesure ces phrases-là me parlent-elles ? Qu’est-ce qu’elles disent de la liberté d’expression ? Est-ce que je suis d’accord ou non avec ça ? Comment je peux modifier la phrase pour qu’elle dise exactement ce que j’ai envie de dire ?
Pourquoi j’aime cette proposition d’écriture : la tête des élèves quand je leur demande de barrer leur propre texte (quoiiiii, vous êtes sérieuse madame ??), puis leur réaction du genre “non mais ça veut rien dire”, et les débats enflammés parce que les autres trouvent que si si, ça veut dire quelque chose ; la confrontation de termes plus abstraits et de vocabulaire très concret permet une belle entrée en poésie.
Proposition d’écriture 4 : Cent mille choses à dire
Pour cette proposition, je pars du livre 100(0) moments de dessin, de Geneviève Casterman, publié chez Esperluète, qui est un manuel de dessin et un de mes livres préférés même si je ne dessine absolument pas. C’est un livre qui ébahit, titille, élance, une caverne à idées, une malle aux trésors.
C’est d’abord dix listes de cent éléments, dix listes qui posent le cadre : dessiner quoi, avec quoi, où, quand, ensemble, comment, sur quoi, pour…, et puis ?, et “ne pas dessiner”. À chaque fois, cent choses. Dans “dessiner quoi”, par exemple : quelque chose très détaillé, une chose avec quelque chose en plus ou quelque chose en moins, des feuillages, des pelages, des plumages, des choses toutes molles, le jour du bain, le jour du chien, le jour sans pain. Dessiner avec quoi : avec des feutres, avec des caractères chinois, avec un couteau, avec un bouchon. Vous l’aurez compris, il s’agit d’ouvrir les horizons.
Un des bonheurs des listes, c’est qu’on peut les associer. Ainsi, lors de votre prochain moment d’ennui, essayez-vous à dessiner votre arbre généalogique / avec des taches / dans un verger / un jour de tempête / en estompant / sur du papier doré / pour exprimer vos émotions… Et si cela ne vous dit pas, vous pouvez tout aussi bien dessiner des timbres poste / avec de la cire de bougie / dans un ministère / le premier jour du printemps / sur une bouteille en plastique / pour expérimenter de nouveaux gestes (tu m’étonnes…)
(Après ces dix délicieuses listes, il y a aussi près de 160 pages avec des illustrations d’enfants, des tableaux d’artistes, des explorations, des collages, des photos, des empreintes, des mots, mais la première partie est largement suffisante pour la proposition qui suit.)
Atelier d’écriture
Attribuez (ou faites piocher) à chaque élève un titre de liste — on remplacera “dessiner” par “dire” :
- Dire quoi ? (un discours, un mot d’amour, une chanson, un mensonge)
- Dire avec quoi ? (avec la voix, avec le cœur, avec un doigt d’honneur, avec un dessin)
- Dire où ? (dans le journal, dans le couloir, à la télé, dans l’oreille)
- Dire quand ? (à la tombée du jour, à la sortie des cours, au petit-déjeuner, le 2 novembre)
- Dire comment ? (en riant, en criant, en pleurant, à voix basse)
- Dire pour… ? (pour partager, pour échanger, pour critiquer, pour faire la révolution)
- Dire, et puis ? (et puis répéter, et puis se taire, et puis passer à autre chose, et puis boire un café…)
Proposez aux élèves de faire une liste d’éléments (en italique ci-dessus, quelques exemples de ce qui peut aller dans chaque liste). Il n’y a pas de nombres d’éléments à écrire, encouragez-les à utiliser tout le temps à disposition et à penser au plus grand nombre de situations possibles.
C’est à la lecture que cette proposition d’écriture prend tout son sens puisque les élèves vont lire un élément chacun·e, dans l’ordre. La première personne dira donc “DIRE un discours” et la deuxième “avec la voix”, puis “dans le journal”, “à la tombée du jour” “en riant” “pour partager”… “et puis répéter”. C’est le principe de la combinatoire. En fonction des tours, ça marchera plus ou moins bien, ce sera plus ou moins juste, percutant, drôle, et ça déclenchera plus ou moins de discussions ensuite ! La lecture peut valoir le coup d’être enregistrée ! (Je me dis souvent ça après coup.)
Pourquoi j’aime cette proposition d’écriture : la magie de la combinatoire ; les propositions insolites ou incongrues ; le côté ludique de l’écriture et le côté “performance artistique” de la lecture.
En guise de conclusion
Voilà pour ces quelques propositions d’écriture autour de la liberté d’expression, en espérant qu’elles pourront vous donner un coup de pouce pour ces moments compliqués. N’hésitez pas à partager dans les commentaires si vous testez l’une ou l’autre proposition ou si vous avez d’autres idées ! Plein de courage à tou·te·s, et merci pour votre travail avec les élèves. Vraiment.
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